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Proposition de loi de programmation polaire
M. Jimmy Pahun et Mme Clémence Guetté, co-présidents du groupe d'études "Arctique, Antarctique, TAAF et Grands fonds océaniques" de l'Assemblée Nationale, vous prient de trouver ci-joint la proposition de loi de programmation polaire pour les années 2024 à 2030 qu'ils viennent de déposer conformément à l'engagement pris lors de la première réunion du groupe le mercredi 22 mars.
Le texte, issu d'une démarche transpartisane, est signé par des députés de 9 des 10 groupes politiques de l'Assemblée nationale.
Il a pour objet de concrétiser la stratégie polaire française à horizon 2030 construite par l’ambassadeur aux pôles et aux enjeux maritimes et souhaitée par le président de la République. Il est, également, nourri des consultations menées auprès de la communauté polaire française et des ministères pertinents, et s’inscrit dans la continuité des différents travaux parlementaires s’inquiétant du déclin de la France dans ces régions et plaidant pour une ambition polaire renouvelée.
Lire le compte-rendu de la première réunion du groupe d'études.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis le milieu du XIXe, les explorateurs tels Jules Dumont d’Urville, Jean‑Baptiste Charcot et Paul‑Émile Victor sillonnent les hautes latitudes au nom de la science et de la découverte mais aussi pour la grandeur de la France.
Le président de la République, Paul Doumer, évoquait ainsi l’expédition en Antarctique du commandant Charcot : « À quoi bon tant d’efforts, tant de dangers courus, pour connaître une portion de la planète où l’homme ne saurait subsister et dont il ne tirera aucun parti ? Qui le sait ? […] Il est bien naturel que nous n’entendions ne rien ignorer de la planète que nous habitons. […] Grâce à Charcot, le pavillon français a flotté dans les mers et sur les terres polaires. C’est grâce à lui que la France n’a pas été absente de ces combats de la civilisation ».
Soldat de l’idéal, ces combats, la France les a menés. Ses aventuriers et ses scientifiques ont fait progresser l’humanité sur le chemin de la connaissance en même temps qu’ils ont assis l’influence de la France dans les instances internationales et installé la présence française en Terre Adélie.
Aux côtés de leurs homologues européens et internationaux, ils ont œuvré à la conclusion du Traité sur l’Antarctique. Ils ont également nourri les travaux de Michel Rocard, Premier Ministre, initiateur du Protocole de Madrid qui fait de l’Antarctique une réserve naturelle dédiée à la science et à la paix. La voix de la France, grande nation polaire, a donc porté et porte encore grâce à la science qu’elle déploie dans ces régions du bout du monde.
Soixante ans plus tard, le Traité sur l’Antarctique reste un objet juridique à part, un modèle de multilatéralisme protecteur qui a fait la preuve de son efficacité : science et diplomatie sont au service d’un bien commun.
Soixante ans plus tard, aussi fort soit‑il, l’héritage de Claude Lorius et de tous les autres grands noms de la conquête polaire ne suffit plus à la France pour parler avec autorité dans les enceintes internationales dédiées aux pôles. L’état de la base antarctique Dumont d’Urville est particulièrement significatif : la sécurité des personnels n’y est que difficilement maintenue et son impact environnemental n’est pas conforme aux exigences dictées par la Convention de Madrid. Depuis trop longtemps les investissements manquent et le retard accumulé rend indispensable une action immédiate et résolue des pouvoirs publics.
Ce constat a été dressé par plusieurs travaux parlementaires récents. En 2021, la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ont ainsi alerté sur le long déclin de la France dans ces régions. À l’initiative de l’Assemblée nationale, la loi de finances pour 2022 a permis d’augmenter le plafond d’emplois de l’Institut polaire français de 7 ETP (équivalents temps plein), tandis que la ministre de la Recherche, Frédérique Vidal, décidait de dédier un financement de 7 millions d’euros sur 3 ans à la rénovation de la station Dumont d’Urville.
Lors de l’examen de la loi de finances pour 2023, l’Assemblée nationale s’est à nouveau mobilisée pour obtenir la prise en charge des surcoûts liés à l’inflation des matières premières que l’Institut polaire français ne pouvait seul absorber. Ces difficultés, partagées par la Flotte océanographique française opérée par l’Ifremer, mettaient en suspens la continuité des programmes de recherche polaire, avec le risque de voir les infrastructures terrestres être compromises.
Plus récemment encore, en juin 2023, dans le cadre des travaux du printemps de l’évaluation, le rapporteur spécial du budget Recherche de la commission des Finances a, de même, plaidé pour un renforcement des moyens financiers dédiés à la recherche polaire.
Ces enjeux, par leur importance et leur diversité, appelant une réponse planifiée, le président de la République, M. Emmanuel Macron, a demandé à l’ambassadeur aux pôles et aux enjeux maritimes, Olivier Poivre d’Arvor, de bâtir une stratégie réaffirmant l’ambition polaire de la France. En 2022, la France s’est ainsi dotée d’une « Stratégie polaire à horizon 2030 ».
Il convient, désormais, de donner une traduction budgétaire à la stratégie polaire française. La présente proposition de loi de programmation s’attache ainsi à concrétiser les ambitions portées par la stratégie. Il s’agit notamment de prévoir la reconstruction de la station Dumont d’Urville, le développement de moyens nautiques pour conduire des campagnes océanographiques, l’accroissement des moyens humains et financiers de l’Institut polaire français, l’augmentation des financements dédiés à la réalisation de projets de recherche polaire, correspondant à un effort financier total de près de 449,4 millions d’euros d’ici 2030.
Ainsi,
l’article 1er approuve le rapport annexé qui présente les principales orientations fixées pour les évolutions de la recherche polaire française dans la période 2024‑2030 ;
l’article 2 détermine la trajectoire de crédits de paiement des programmes concernés sur la période 2024‑2030 ;
l’article 3 crée un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances dédié à la politique polaire.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Est approuvé le rapport annexé à la présente loi, qui fixe les orientations relatives à la politique de recherche polaire et les moyens qui lui sont consacrés au cours de la période 2024‑2030, tels qu’énoncés par la « Stratégie polaire de la France à horizon 2030 » publiée le 1er avril 2022. Il précise notamment les crédits nécessaires à la conduite de projets de recherche de grande envergure, le renforcement des capacités opérationnelles de l’Institut polaire français, les investissements en matière de renouvellement des infrastructures terrestres et nautiques, et de gestion des ressources humaines du secteur de la recherche publique au regard des enjeux environnementaux, scientifiques et stratégiques des régions polaires.
Article 2
I. – Les crédits budgétaires du programme « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » dévolus à la recherche polaire, évolue comme suit entre 2024 et 2030, à périmètre constant, en écart par rapport au montant inscrit en loi de finances initiale pour 2023 :
II. – Le plafond d’emplois de l’Institut polaire français évolue comme suit entre 2024 et 2030 :
Article 3
Avant le 1er octobre de chaque année, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à la mise en œuvre de la politique polaire de la France. Ce rapport présente, notamment, la réalisation des orientations fixées par le rapport annexé à la présente loi ainsi que la trajectoire budgétaire qui y est associée.
RAPPORT ANNEXÉ
L’histoire des pôles s’est écrite en français. De la découverte de la Terre Adélie par Jules Dumont d’Urville, aux expéditions de Jean-Baptiste Charcot à bord du Pourquoi-pas ?, la reconnaissance de l’Antarctique comme réserve naturelle consacrée à la paix et à la science à l’initiative du Premier ministre Michel Rocard et de son homologue australien Robert Hawke, en passant par les Expéditions polaires françaises emmenées par Paul-Émile Victor en Arctique et Antarctique, la France possède une longue tradition polaire.
Tributaires de cette histoire, les scientifiques français et l’Institut polaire français continuent de faire rayonner la France et de faire progresser l’Humanité sur le chemin de la connaissance grâce à la production d’études mondialement reconnues : qu’il s’agisse des carottages glaciaires en Antarctique révélant au monde le dérèglement climatique ; d’études portant sur les interactions entre la glace, l’océan et l'atmosphère pour comprendre le rôle de ces régions dans le dérèglement climatique ; ou encore des suivis de populations animales uniques au monde de par leur durée - plus de 70 ans pour certaines. La recherche polaire française est une des meilleures au monde, en témoigne notamment le nombre de publications scientifiques produites chaque année.
Cependant, la recherche polaire française souffre, depuis plusieurs années, d’un manque d’investissements, autant humains que financiers qui aura pour conséquence de limiter, à moyen-terme, la capacité de la France à peser dans le concert des nations polaires si aucun sursaut n’était décidé.
En 2021, il avait alors été décidé de relever le plafond d’emplois de l’Institut polaire de 5 ETP, à travers la loi de finances pour 2022. En parallèle, le Ministère de la Recherche annonçait le financement des premières études en vue de la rénovation de la base antarctique Dumont d’Urville.
En 2022, la France s’est ensuite dotée d’une « feuille de route stratégique de [son] action polaire au service de la coopération européenne et internationale et des instruments comme des moyens pour y parvenir » : la Stratégie polaire de la France à horizon 2030 construite par l’Ambassadeur aux pôles et aux enjeux maritimes et endossée par le Président de la République.
La présente proposition de loi de programmation en est la traduction législative. Elle concrétise les perspectives budgétaires des ambitions développées par cette stratégie. Il s’agit notamment de prévoir la reconstruction de la station Dumont d’Urville, le développement de moyens nautiques pour conduire des campagnes océanographiques, l’accroissement des moyens humains et financiers de l’Institut polaire français, l’augmentation des financements dédiés à la réalisation de projets de recherche polaire, correspondant à un effort financier de près de 449,4 millions d’euros d’ici 2030.
1 - Comprendre pour mieux protéger les écosystèmes polaires et appréhender les conséquences du dérèglement climatique
Les activités humaines, qu’elles aient lieu dans les régions polaires ou à l’échelle globale, entraînent de profondes modifications des environnements polaires. En Arctique, on observe, par exemple, une progression des extractions minérales et d’hydrocarbures. De même, en Antarctique, si les activités humaines y sont davantage contraintes, le tourisme et la pêche s’y développent et participent de l’augmentation des pollutions et de l’introduction d’espèces invasives. Ces modifications s’ajoutent à celles causées par le dérèglement climatique, telles que la modification des étendues de glace ou l’augmentation des températures. L’ensemble de ces changements ont d’importantes conséquences sur la fragile biodiversité des régions polaires, sur les processus écologiques qui la sous-tendent, et in fine sur l’ensemble des écosystèmes polaires.
Les écosystèmes polaires sont en outre contraints de manière drastique par une série de caractéristiques physiques qui sont sans équivalent dans le monde entier. Tout d’abord, les pôles sont par définition localisés aux extrémités latitudinales du globe et les écosystèmes polaires occupent l’une des extrémités du spectre des conditions environnementales de la planète. Par ailleurs, la place manque au Nord comme au Sud : du fait de la géométrie du globe, la surface des ceintures climatiques décroît de l'équateur aux pôles. Les pôles correspondent ainsi à une nasse écologique, les espèces qui y vivent ne pouvant pas migrer au-delà alors même qu'elles font face à de potentiels nouveaux arrivants. Les enjeux de conservation de la biodiversité sont donc radicaux dans ces régions : la transformation du climat va entraîner un plus grand recul des refuges et des possibilités de migration pour les communautés biologiques, qui auront beaucoup moins de possibilités d’adaptation pour faire face au réchauffement, en comparaison des autres régions du monde.
Enfin, les enjeux de conservation et de suivi scientifique dans les pôles ne sont pas uniquement des enjeux spécifiquement polaires : ils sont une composante des enjeux globaux, à l’échelle planétaire. Par exemple, la transformation du climat dans les pôles est susceptible de transformer l’ensemble du climat mondial et d’avoir des conséquences dans les territoires occupés par notre espèce, jusqu’en Europe occidentale. Les effets sur les populations humaines de la transformation du climat dans les pôles seront nombreux dans le territoire français, qu’il s’agisse de l’accélération de la survenue de phénomènes climatiques extrêmes ou de la montée des eaux amenée à impacter notre littoral.
Dans ce contexte, il apparaît essentiel de soutenir et de développer les recherches visant à mieux appréhender et gérer les activités humaines dans les régions polaires, à évaluer les réponses des espèces et des populations aux changements environnementaux, à apporter de meilleures connaissances des processus écologiques associés à la banquise et les conséquences de sa réduction sur la structure des écosystèmes, à identifier des zones refuges potentielles ou encore à proposer des mesures de gestion et de conservation adaptées.
1.a. Protéger les écosystèmes polaires grâce aux aires marines protégées et à un encadrement exigeant des activités humaines
Au sein de la convention pour la conservation de la faune et la flore marine de l’Antarctique (CCAMLR), la France soutient activement et depuis longtemps l'approfondissement des mesures de protection de l’environnement et, en particulier, la création d’aires marines protégées (AMP). Ces mesures sont devenues urgentes en raison des fortes pressions anthropiques subies par ces écosystèmes. Il s’agit de les mesurer et de prévenir celles qui peuvent encore l’être.
Pour atteindre ces objectifs, il a été décidé au sein de la CCAMLR de créer un système représentatif d’AMP autour de l’Antarctique d’ici à 2030. La France a un rôle prédominant à jouer pour lever les blocages géopolitiques qui freinent le déploiement de ce dispositif, en particulier, de la création d’une AMP Est-Antarctique au large de Terre Adélie. Elle doit donc continuer à s’impliquer fortement dans les instances du Système du Traité sur l’Antarctique pour y travailler et, le moment venu, contribuer à l’adoption de réglementations de gestion robustes.
La gestion et le suivi scientifique d’une telle AMP sera facilité par la mise à disposition de navires océanographiques adaptés aux environnements polaires. De tels moyens permettront la conduite régulière d’études scientifiques dans les différentes AMP antarctiques, mais aussi dans d’autres théâtres d’opérations (par exemple, près du glacier Mertz ou les zones mal connues comme la pente du talus continental et la plaine abyssale) afin d’y conduire de grands projets scientifiques fédérateurs dans le cadre du comité scientifique de la recherche antarctique (SCAR) et de contribuer à l’effort commun de gestion et de recherche dans le cadre international de la CCAMLR.
En Arctique, la création d’AMP est aussi un enjeu de première importance, notamment dans les derniers refuges des glaces pluriannuelles qui abritent des écosystèmes spécifiques menacés de disparition (AMP Tuvaijuittuq et Pikialasorsuaq). La France y contribue de façon essentielle au travers de ses équipes de recherche au Canada et de ses collaborations internationales. De même, avec l’aboutissement de la négociation relative au traité sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, la France soutient la création d’AMP en haute mer, notamment en Arctique central.
Enfin, l’encadrement des activités humaines tant en Arctique qu’en Antarctique doit se poursuivre. Ainsi, la France doit accentuer ses efforts en faveur de l’adoption par les États parties au Traité de l’Antarctique d’une réglementation la plus ambitieuse et protectrice possible en matière de tourisme. De même, en Arctique, l’interdiction de toute exploitation d’hydrocarbures doit être recherchée.
1.b. Assurer le suivi à long-terme de la biodiversité et des environnements polaires
La France pilote de nombreux programmes de suivi in situ de la biodiversité polaire. Parmi les nombreux projets à long terme en biologie, les suivis des oiseaux marins, et notamment le suivi de la population de manchots empereurs en Terre Adélie (plus de 70 ans), tout comme les suivis de la faune marine comptent parmi les plus anciens du monde. Ces suivis à long terme du vivant sont essentiels car ils permettent de mieux comprendre l’écologie et l’évolution des espèces et des écosystèmes fragiles des régions polaires, et leurs réponses adaptatives face à un environnement qui change de manière extrêmement rapide.
Il est donc, aujourd’hui, crucial de pérenniser ces suivis à long terme en offrant davantage de visibilité aux équipes de recherche. Ce soutien permettra non seulement d’améliorer notre connaissance des écosystèmes polaires, de modéliser et de prédire les impacts des changements environnementaux à partir des observations passées, mais aussi de générer des bases de données, référencées et informatisées pour nourrir les bases de données internationales et proposer des pratiques de gestion durable et de conservation de la biodiversité polaire.
2. Garantir l’excellence de la recherche polaire française au bénéfice de l’environnement, de la science et de la paix
La France est une nation polaire grâce à ses scientifiques qui couvrent la presque totalité des champs disciplinaires, publient dans les meilleures revues internationales et contribuent aux réseaux mondiaux de suivi géomagnétique, sismique, climatique, océanographique, biologique, astronomique et anthropologique. Elle doit également son statut à l’expertise reconnue de son opérateur logistique, l’Institut polaire français.
Toutefois, la Stratégie polaire française fait le constat d’un décrochage. Elle identifie néanmoins les voies du sursaut dans un contexte international marqué par le réinvestissement d’autres nations dans les régions polaires, par l’acquisition de navires adaptés à l’environnement polaire, notamment le Canada, le Danemark, l’Allemagne, le Japon et les Pays-Bas, ou la construction de nouvelles bases antarctiques, notamment la Chine et la Nouvelle-Zélande.
2.a. Soutenir les projets de recherche
Il est indispensable de soutenir financièrement une recherche polaire dynamique, novatrice et ambitieuse, tant en Antarctique qu’en Arctique.
La Stratégie polaire invite, à ce titre, au lancement d’un Programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) ciblé sur l’Antarctique.
En outre, le renforcement de la capacité de financement de l’Institut polaire français – via ses appels à projets mais aussi via des financements récurrents – permettra de soutenir une diversité de projets émergents, notamment en Arctique.
Le soutien aux projets de recherche requiert aussi le développement et le maintien d’observatoires dont les positions géographiques aux pôles et en mer sont capitales dans le maillage du réseau mondial. À cet égard, il est également nécessaire de développer de nouvelles technologies dédiées à la recherche polaire en coordination avec l’industrie et la société civile. Des investissements sont, par exemple, nécessaires pour renforcer les grands équipements de forage des carottes de glace mais aussi les équipements d’astrophysique et d’astronomie déployés dans les régions polaires.
Les besoins en la matière comprennent notamment le développement de carottage sec, de batteries autonomes à très basses températures, de stations météo autonomes ; l’installation de spectromètres en Terre Adélie et de shelters autonomes équipés d’instruments de télédétection ; la réfection des moniteurs à neutrons de Dumont d’Urville et de Kerguelen, et du radar SuperDARN ; l’acquisition d’un carottier nouvelle génération, d’un télescope infrarouge et d’un spectro-imageurs à Dumont d’Urville ; ainsi que la maintenance du télescope ASTEP.
2.b. Renforcer l’Institut polaire français
La recherche dans les pôles repose en grande partie sur l’Institut polaire français. Il convient de conforter son statut de groupement d’intérêt public (GIP) qui lui assure visibilité à l’international, flexibilité opérationnelle, et indépendance des recherches qu’il soutient.
La Stratégie polaire prévoit, à ce titre, de renforcer ses moyens humains et financiers. Ces trois dernières années, l’Institut a bénéficié d’un fort soutien du ministère de la Recherche et du CNRS : l’adjonction de nouveaux ETP (équivalents temps plein) a été cruciale pour son bon fonctionnement. En 2023, l’Institut compte 53 ETP pérennes. Afin de réaliser ses missions de manière optimale – notamment au regard du droit du travail – et de mettre en œuvre les ambitions portées par la Stratégie polaire, un relèvement de son plafond d’emplois de 10 ETP est requis dès 2024 et 2025 avant d’être stabilisé.
De même, conformément aux recommandations exprimées par le contrôle financier lors des récents conseils d’administration de l’Institut, sa subvention annuelle augmentera de 6,3 millions d’euros par an, afin de passer de 14,7 à 21 millions d’euros. Cette augmentation prend, notamment, en compte, l’augmentation de différents postes de dépenses (carburant, logistique, fret, alimentation et déplacements), les dépenses d’entretien et de rénovation des infrastructures qui avaient été gelées pendant ces dernières années (Dumont d’Urville, Concordia et Awipev en particulier), et les déficits budgétaires glissants d’une année sur l’autre.
2.c. Renouveler les infrastructures terrestres et portuaires
Le constat de la Stratégie polaire est sans équivoque : à l’heure où nos partenaires internationaux investissent massivement dans la construction ou la reconstruction de leurs stations antarctiques, il devient urgent de remettre en état la station française Dumont d’Urville, construite en 1956. Il est impératif d’y préserver la sécurité des personnels, d’y améliorer les conditions d’exercice de la science et de réduire son impact sur l’environnement. À ce titre, fin 2021, le ministère de la Recherche a octroyé 1 million d’euros à l’Institut pour la réalisation d’études en vue de la rénovation de la station, complété par 6,737 millions d’euros entre 2021 et 2023. Le travail de rénovation a donc débuté et doit maintenant se poursuivre.
La rénovation de la station Dumon d’Urville comprendra, en outre, la construction d’un nouveau quai facilitant les manœuvres d’accostage et permettant d’y amarrer les navires par gros temps. Cette nouvelle infrastructure réduira ainsi la consommation de carburant et donc l’empreinte environnementale des expéditions. Celles-ci ne seront plus, par ailleurs, dépendantes des conditions météorologiques.
En parallèle, les travaux de remplacement de la station actuelle seront lancés pour pérenniser sur le très long-terme la présence française en Terre Adélie et mettre le pays au niveau de ses partenaires étrangers. À titre d’exemple, la Chine construit sa cinquième station en Antarctique et la Nouvelle-Zélande reconstruit la sienne pour un montant de 194 millions d’euros.
La nouvelle station Dumont d’Urville permettra de réduire de manière significative l’empreinte environnementale (coût énergétique et perturbation du milieu) tout en offrant une plus grande capacité d’accueil aux scientifiques. Des études spécifiques sont nécessaires en 2025 pour lancer ce grand chantier. Elles permettront de définir son coût global qui peut être, aujourd'hui, estimé à près de 150 millions d’euros.
La remise en état de la seconde station antarctique française, Concordia, sera réalisée à plus lointaine échéance – au-delà de l’horizon fixé par la présente proposition de loi – en partenariat avec l’Italie. Le réengagement de la France en Arctique promu par la Stratégie polaire pourrait se concrétiser par le développement d’installations de recherche pérennes. Cette option devra être examinée avec les autorités groenlandaises et d’autres partenaires européens.
2.d. Renforcer les capacités maritimes de recherche par l’acquisition d’un navire à capacité glace
Une part importante de la communauté nationale de recherche polaire s'intéresse aux sciences de l'océan (océanographie physique, cycles géochimiques, biologie et écologie marines, géologie, glaciologie marine, paléoocéanographie…), ainsi qu'aux interactions entre l'océan et l'atmosphère, les glaciers et plateformes de glace, ou les milieux terrestres. Ces travaux ont, non seulement, un fort potentiel d’innovation, mais aussi un caractère essentiel pour aborder les défis environnementaux, en particulier le dérèglement climatique.
L’absence de navire à capacité glace dans la flotte océanographique française, permettant aux scientifiques d’accéder au terrain, est, cependant, un frein à l’exercice de ces disciplines. Les besoins existent en Arctique, majoritairement pour des campagnes hauturières. Ils existent aussi en Antarctique, pour des campagnes côtières : la création future d’une aire marine protégée au large de Terre Adélie demandera une activité scientifique régulière en Antarctique de l’Est.
De plus, pour contribuer aux collaborations européennes, nombreuses, ainsi qu’aux grands projets internationaux collaboratifs, présents et futurs, la France se doit de disposer de moyens maritimes adaptés à l’environnement polaire.
Il s'agirait donc de programmer l’acquisition soit d’un brise-glace soit d’un navire de recherche hauturier à coque renforcée. La décision de construire, d’acheter ou d’affréter un tel navire devra offrir à la communauté scientifique un équipement à la hauteur des autres nations polaires, mais reposera aussi sur des considérations de calendrier et de coûts.
En outre, ce navire pourrait être opéré en synergie avec le plan de renouvellement de la Flotte Océanographique Française hauturière et ainsi bénéficier à l’ensemble des recherches marines menées par la France dans les pôles.
3. Développer les coopérations européennes et internationales
Dans les régions polaires, la France collabore avec un grand nombre de pays. La coopération internationale est particulièrement importante en Antarctique, depuis notamment l’année géophysique internationale de 1957, mais aussi la conclusion du Traité sur l’Antarctique en 1959 et du Protocole de Madrid en 1991.
Les coopérations y sont bilatérales, européennes, et internationales. D’un point de vue opérationnel, l’Institut polaire français est étroitement lié à certains de ses homologues étrangers. Ainsi, l’Institut coopère avec l’Institut polaire allemand, Alfred Wegener, pour la gestion commune de la station AWIPEV au Svalbard ; avec l’Institut polaire italien pour la gestion commune de la station Concordia (anciennement « très grande infrastructure de recherche ») ; ou encore avec l’Australie pour la mutualisation de moyens de transports.
3.a. Devenir moteur d’un approfondissement de la coopération européenne
La Stratégie polaire identifie la coopération européenne comme un axe central des coopérations à développer. La France est déjà engagée dans un certain nombre de projets européens tels que CLIMCOR, EAIIST, SUBGLACIOR, ICORDA ou BE-OI.
L’Union européenne est, en effet, présente en Arctique et s’y engage en faveur d’une « région pacifique, durable et prospère » (communication conjointe de la Commission européenne et du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, octobre 2021). La France soutient, à cet égard, la demande de l’UE, principal bailleur de fonds extérieur au Conseil de l’Arctique, d’obtenir le statut d’observateur au sein de ce dernier. La Stratégie polaire insiste, par ailleurs, sur la nécessité de construire un véritable projet coopératif avec des États-membres de l’UE pour permettre à la France de renforcer sa présence en Arctique.
En Antarctique, les nations européennes disposent d’un nombre important de stations qui mériterait d’être mises en réseau, mutualisant ainsi les programmes et les infrastructures.
De manière générale, la France doit assumer un rôle moteur dans la mise en œuvre des projets européens ayant trait à la recherche polaire. Le renforcement de l’Institut polaire permettra la concrétisation de cette ambition.
3.b. Porter la voix de la France dans les espaces de coopération internationale
Au niveau international, plusieurs axes de coopération sont identifiés par la Stratégie polaire. À cet égard, tel que souhaité par la Stratégie, le premier sommet polaire international se tiendra à Paris du 8 au 10 novembre 2023.
Renforcer les moyens de la recherche polaire permet à la France d’asseoir son influence dans les enceintes internationales tout en contribuant aux efforts internationaux en matière de progrès des connaissances.
Le lancement d’une « décennie des mondes polaires » est ainsi souhaité afin d’amplifier et fédérer les efforts de recherche mondiaux pour une meilleure compréhension et protection de ces régions. L’année polaire internationale 2032-2033 prévue par le Scientific Committee for Antarctic Research (SCAR) et l’International Arctic Science Committee (IASC) en serait l’aboutissement.
Il est également important que la France retrouve une place prééminente au sein du SCAR, organisation scientifique créée en 1958 dont la mission est de développer et de coordonner la recherche internationale dans la région antarctique, et de nourrir les réunions du Traité sur l’Antarctique de son expertise scientifique.
La France est, en outre, pays observateur du Conseil de l’Arctique, forum de discussion intergouvernemental des pays de l’espace arctique. L’intensification de ses activités au sein des groupes de travail de cette instance permettra à la France de conforter son statut d’observateur.
4. Gouvernance
La gouvernance des politiques polaires doit, en parallèle, être revue pour améliorer la coordination entre les différents ministères concernés mais aussi la grande diversité d’acteurs de la recherche impliqués dans le polaire en France.
4.a. Le comité interministériel des pôles (CIPOL)
De nombreux ministères interviennent dans la mise en œuvre de la politique polaire de la France. Cependant, aucune instance de concertation interministérielle n’existe à ce jour pour organiser l’action de la France dans les régions polaires.
Le comité interministériel des pôles (CIPOL) se voit donc confié la charge de délibérer sur la politique du Gouvernement dans le domaine polaire sous ses divers aspects nationaux et internationaux et de fixer les orientations de l’action gouvernementale dans tous les domaines de l’activité polaire de la France.
Ce comité, présidé par la Première Ministre, réunit les ministre de la ministre chargée de la Recherche, la ministre des Affaires étrangères, le ministre chargé de l'Environnement, le ministre chargé de la Défense, le ministre chargé des Outre-mer, le ministre chargé de l’Economie, le ministre chargé de la Mer, le ministre chargé du Budget, la ministre chargée de la Culture, le ministre chargé des Collectivités territoriales, le ministre chargé de l’Aménagement du territoire et en tant que de besoin, les autres membres du Gouvernement.
Son secrétariat est assuré par le Secrétariat général du Gouvernement. L’ambassadeur chargé des pôles et des enjeux maritimes participe à la préparation des délibérations du comité interministériel des pôles.
4.b. La coordination de la recherche polaire française (CRPF)
Seul le groupe de travail polaire de l’Alliance nationale de recherche pour l’Environnement (AllEnvi) réunit les acteurs de la recherche polaire dans un même espace de discussions. Les différents domaines de recherche y sont représentés ainsi que les organismes de recherche (CNRS, Muséum national d’histoire naturelle, Ifremer), des universités, l’Institut polaire français et le Comité national français des recherches arctiques et antarctiques (CNFRAA). Il s’agit, aujourd’hui, de lui donner une dimension nouvelle en créant une instance de coordination de la recherche polaire capable également d’éclairer la prise de décision politique.
À ce titre, le CPRF sera formellement sollicité pour éclairer les délibérations du CIPOL et son président en sera membre de droit.
Le CPRF participera également à l’action diplomatique de la France en soutien au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. En lien avec les acteurs publics et privés concernés, il pourra aussi réaliser une prospective polaire, animer la communauté de recherche polaire, réaliser un état des lieux de la production scientifique, proposer des actions coordonnées en matière de financement, et évaluer les moyens logistiques et de recherche dédiés au polaire.
5. Tableau synthétique de l’évolution des moyens alloués à la recherche polaire pour la période 2024-2030, en écart par rapport au montant inscrit en loi de finances initiale pour 2023
1. 2024 : soutien récurrent carottage de glace et Station météo autonome / 2025 : carottier sec, batteries autonomes à très basses températures, soutien récurrent carottage de glace et spectromètres en Terre Adélie / 2026 : soutien récurrent carottage glace, shelters autonomes équipés avec d’instruments de télédétection et moniteur à neutrons Dumont d'Urville / 2027 : soutien récurrent carottage de glace et moniteur à neutrons Kerguelen / 2028 : carottier nouvelle génération, radar SuperDARN, télescope ASTEP et spectro-imageurs Terre Adélie / 2029 : soutien récurrent carottage de glace / 2030 : soutien récurrent carottage de glace et nouveau télescope infrarouge.
2. 2025 : études / 2026-2030 : 149,7 millions d’euros distribués annuellement à parts égales.
3. 2025 : financement PEPR Antarctique / 2024-2030 : financement ANR
4. 2024 : acquisition / 2025-2030 : coût de fonctionnement