ACTUALITÉS

Carnet de bord - Expédition scientifique au Groenland

Je viens de passer 17 jours (on compte les jours dans le cercle polaire) au Groenland, pour accompagner l'expédition "Greenlandia" qui, sous la direction de Vincent Hilaire, a l’ambition de suivre l’évolution du petit village d’Ittoqqortoormiit (le plus isolé de l’Est du Groenland). Il s'inscrit en cela dans les pas du Commandant Charcot. Il y a 100 ans le "Pourquoi Pas" y avait mouillé. Le bon docteur Charcot avait vécu, soigné, échangé avec les habitants de ce petit village. 

À l’occasion de ses voyages Charcot embarquait des artistes, sa femme première d’entre eux, et des scientifiques. C’est un peu plus au Sud que débarqua pour un hivernage le jeune Paul Emile Victor qui allait vivre pendant toute une année avec les inuits avant de traverser plus tard le Groenland d’Ouest en Est avec trois compagnons. C’est toute cette aventure que j’ai découverte pendant ma navigation, tout particulièrement celle des prélèvements géologiques et paléontologiques réalisés par Charcot en son temps et reproduit à l'identique par deux chercheuses du Muséum national d’Histoire Naturelle aux mêmes endroits, sur terre et en mer, 100 ans plus tard. Ceci pour dire et nous rappeler l’histoire et le savoir faire de la recherche polaire française que nous devons continuer à soutenir. J'y travaille avec plusieurs de mes collègues de l'Assemblée nationale : nous venons de déposer une proposition de loi de programmation polaire

Voici quelques notes en guise de carnet de bord, qui vous permettrons je l'espère de vous faire une idée de ce voyage aux côtés de scientifiques et d’aventuriers français au Groenland.

Lundi 21 août 2023, à bord d’un petit avion 9 places je rejoins le Groenland depuis l’Islande. Nous atterrissons à Constable Point. Encore 10 minutes d’hélicoptère et nous atteignons notre destination : le village le plus reculé de la côte orientale du Groenland, Ittoqqortoormiit. Jean-Baptiste Charcot y avait établi son camp de base pour l’année polaire internationale de 1932-1933. Nous sommes à Hurry Inlet, porte d’entrée du détroit de Scoresby, fjord de près de 14 000 km2, le plus grand du monde. Il y a deux Groenland. L’Ouest bordé par le Gulf Stream. L’Est le long duquel passe le courant arctique qui y rend la vie bien plus difficile. C’est une terre six fois grande comme la France, avec un statut proche de la Polynésie qui le rattache au Danemark. Le Kamak sur lequel nous embarquons a beau être un ancien voilier de charter antillais il est tout à fait adapté à notre programme polaire ! Il y a entre 25 et 35 nœuds de Nord. Le mouillage un peu exposé nous oblige à vite dégager. Nous envoyons, pour la première fois de la saison, le yankee et un bout de l’artimon. Nous naviguons alors à 6 ou 7 nœuds. Nous croisons nos toutes premières glaces, avant d’apercevoir nos premiers bœufs musqués. Nous passons la nuit au mouillage à l’entrée du fjord. Nous avons pour objectif d’y entrer pour récupérer des fossiles de l’époque du Jurassique et du Crétacé. Marie-Béatrice et Peggy, nos deux paléontologues du Muséum national d’histoire naturelle ont repéré trois sites à explorer, déjà travaillés par un de leur collègue danois au milieu des années 1980. L’entrée dans le détroit de Scoresby se fait au milieu des Icebergs qui, comme le dit Isabelle, le second du bord, « encombrent le périphérique ! » Des « bergs » à perte de vue, des changements de cap pour éviter les growlers et des formes à donner aux glaçons : ici le chat de Geluck, là un cygne où encore une chaumière bretonne avec des volets bleu ciel me rappelant ceux de ma maison. 

Sur la route du Minland, deux prélèvements de planctons orchestrés par Juliette et Florian : une belle vie de planctons, et de copépodes en particulier, mais beaucoup moins de larves de morues arctique que l’an passé, ce qui les questionne sérieusement. Repérage des vallées à explorer par la mer. Décision est prise d’aller mouiller à Port Charcot, à 5,6 miles de notre lieu de recherche. Port Charcot, mouillage superbe ou d’en d’autres conditions que les nôtres, à bord du « Pourquoi Pas », le commandant était venu mouiller et inscrire ainsi davantage son nom dans l’histoire polaire française. Il est décidé d’aller sur les zones de travail à pied à travers les vallons en coupant au droit avant en passant par la côte pour les derniers kilomètres, entre longue plage de sable rosé et cap rocheux que nous franchissons comme nous le pouvons. Cette marche d’environ 12 km nous prendra bien 6 heures, au bout desquels le Kamak viendra nous récupérer. Un coup d’œil d’altitude nous permettra d’envisager une zone de mouillage proche de la zone à travailler si le mouillage ne bouge pas trop. Depuis la première nuit, le temps est beau, trop beau. Certains d’entre nous sont en tee-shirts et la température est probablement supérieure à 20 degrés. Par 70 degrés Nord dans le cercle polaire, c’est beaucoup.

Nos chercheuses du Muséum savent exactement où elles veulent aller. La géolocalisation leur permet de gagner un temps précieux. L’une rêve de trouver des ostracodes, l’autre des plésiosaures. « Ne cherche pas à comprendre Jimmy » me dit Florian, elles savent ce qu’elles font et savent ce qu’elles veulent : comparer leurs échantillons à ceux du Commandant Charcot qui dans ses équipages embarquaient toujours des scientifiques. Ces recherches dureront 2 jours. Les échantillons seront plus tard étudiés en laboratoire, avant de rejoindre les collections du Muséum faites de milliers, de millions d’autres prélèvements sous marins. Le samedi 26 août, dernier jour d’échantillonnage prévu. Nous le passerons à bord. Depuis le début de notre séjour, le temps est exceptionnellement beau et chaud. Vincent, le chef d’expédition, pense que nous allons, hélas, battre de nouveaux records de température. Nous voyons les Icebergs suer leur eau, les entendons vêler, c’est-à-dire se casser dans le même bruit que le tonnerre. Nous voyons aussi les glaciers du fjord qui reculent d’année en année.

Samedi, froid, pluie, donc bateau, bannette et lecture. J’en profite pour terminer la biographie de Paul Emile Victor. Finalement les choses n’ont pas changé. La recherche polaire est d’abord une affaire de passionnés, Greenlandia, comme Tara, comme Polar Pod, sont portés par les mêmes valeurs que pouvaient avoir le commandant Charcot, Victor et toutes celles et ceux qui y sont allés. Journée à lire, dormir et partager. Il est de tradition de partager son savoir à travers des conférences. Hier, Marie-Béatrice nous a parlé des 12 caisses retrouvées et jamais étudiées du commandant Charcot. Dimanche, le temps est toujours aussi froid et humide mais nous quittons Port Charcot pour faire les mêmes prélèvements sous-marins par 400m de fonds de l’expédition Polarstern beyond Charcot, encore une occasion de comprendre pourquoi le cercle polaire se réchauffe 4 fois plus vite que les zones tempérées. À voir le plaisir de Marie-Béatrice les deux prélèvements sont une réussite. Le lundi nous quittons l’Ile aux Ours où nous avons passé un excellent mouillage. Nous longeons la terre groenlandaise avec ses parois de 7, 800 mètres de haut et sur nous sommes en bordure de parc naturel qui nous laisse espérer voir des narvals. Ah ! ces narvals, que Vincent rêve de voir depuis le temps qu’il navigue dans ces contrées. Le soleil a fait son grand retour mais avec un fond d’air bien plus frais que la semaine passée. Je me sens plus apaisé avec ces quelques degrés en moins. La dernière « Van Verne » - une petite benne utilisée pour récupérer les échantillons de sédiments - nous fait remonter une palourde que j’ouvre avec gourmandise, un peu à la surprise de mes compagnons mais goûter la palourde du Scoresby ne se refuse pas!

L’équipage du Kamak est composé d’un capitaine, David, savoyard affûté, qui apporte à son bateau une forte attention. Le moteur et les niveaux sont inspectés régulièrement, les pompes de cales contrôlées aussi souvent. Il sait qu’il ne peut compter que sur lui lors de navigations aussi reculées. Quand il n’est pas skipper, il est prof de ski, couvreur, maçon, toujours en plein air. Sa seconde, s’appelle Isabelle. Elle a navigué comme moi en 5 vies ! Antilles, Méditerranée, Atlantique dans tous les sens. Elle aussi a besoin de son froid et navigue souvent au Svalbard que j’ai très envie de découvrir. Enfin, Min est cuistot en plus de son rôle de marin discret. C’est un chef généreux et attentionné. Je ne me souviens pas si c’est la blanquette, la soirée pizza, le bœuf musqué en ragoût que j’ai préféré, tout ce que je sais est que j’ai repris de tout à chaque fois ! Un dernier prélèvement sur le point zéro proche de Port Charcot et voilà le travail terminé pour nos deux chercheuses. Mercredi va être un jour de détente. Depuis le début de la mission à bord on se refile une mauvaise grippe qui fatigue bien. Je passe à travers, jusque maintenant… une partie de l’équipage préfère rester à bord, une autre part pêcher, je pars avec Isabelle, Peggy, Yann, crapahuter d’une colline à l’autre à chercher le meilleur point de vue sur le glacier Charcot et sur les lacs d’eau douce qu’il a formé avec son recul. Lac où sont allés faire un carton d’ombres notre 3eme équipe de pêcheurs. Poissons que nous nettoierons et dégusterons autour d’un barbecue improvisé sur la plage avant la grande traversée retour vers Ittoqqortoormiit, d’environ 150 miles, que nous avons décidé de faire de nuit. Les nuits ont bien raccourci depuis 15 jours, et si au Nord-Ouest on devine toujours une lueur, la lune bien pleine nous éclaire l’Est et nous permet ainsi de voir les petits bouts de glace qu’il faut éviter. La nuit est très belle, le fjord un lac, la fraîcheur très supportable, bien plus que le vent d’Est de 15 nœuds qui se lève vers 7 h. « Dommage que nous soyons contre le vent, me dit David, j’aurais bien envoyé les voiles » et moi je suis curieux de voir comment marche ce joli voilier qui doit dépasser les cinquante tonnes. 

Que retenir de ces 15 jours à naviguer dans le Scoresby ? Le poids de l’histoire et l’héritage laissé par ses pionniers. Le commandant Charcot et son équipage, Paul Emile Victor et ses compagnons de la trans Groenland qui sont venus s’intégrer à ces habitants du grand Nord, à partager avec eux, à mieux les comprendre. Une vie d’aventure et d’exploration. Victor y a installé, au sommet de cette deuxième réserve de glace après l’Antarctique, une station météo et de glaciologie dont l’esprit est aujourd’hui perpétué par les chercheuses que nous avons embarquées. Cette vie donnée aux pôles coûtera la sienne au commandant Charcot mais permettra la création des Expéditions Polaires Françaises et d’hisser notre pays le concert des nations polaires.   Oui, j’ai vu beaucoup d’Iceberg, donc de glaciers qui continuent à fondre, oui j’ai vu très peu de vie animale, peu d’oiseaux, peu de phoques, pas de pêche en mer, oui j’ai vu, la première semaine surtout, des journées en tee-shirts. Mais j’ai vu aussi une expédition Greenlandia et son chef, Vincent Hilaire, totalement investi dans la connaissance, la recherche, l’information et le partage comme l’était ses nobles prédécesseurs et qui continue de faire vivre l’esprit aventurier et scientifique de la recherche polaire française.


Chroniques Antarctiques - janvier 2024
6 févr. 2024
Récit de ma mission en Antarctique pour comprendre les conditions dans lesquelles les scientifiques et les techniciens français œuvrent au service de la science, de l’environnement et de la paix.
LE TELEGRAMME : À Auray, Jimmy Pahun part au Groenland pour promouvoir la recherche polaire
17 août 2023
Ce dimanche 20 août, Jimmy Pahun, député du Pays d’Auray, s’envolera au Groenland, où il rejoindra l’expédition de Greenlandia. Une façon de promouvoir la recherche polaire française.
OUEST FRANCE : Le député du Morbihan Jimmy Pahun part en mission au Groenland
17 août 2023
Le député de la deuxième circonscription du Morbihan, coprésident du groupe d’étude Arctique, Antarctique et grands fonds, s’envole dimanche 21 août 2023 pour le Groenland.